Les maths en interaction avec Fabrice Mahé

Fabrice Mahé est un mathématicien appliqué : ses sujets de recherche se construisent en interaction avec les entreprises ou avec d'autres sciences. Il nous explique les particularités propres à cette démarche.
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Le goût des mathématiques appliquées

Fabrice Mahé a suivi un DEUG puis le magistère de modélisation mathématique et méthodes informatiques à l'Université de Rennes 1. Après deux années en tant qu'enseignant en coopération au Burkina Faso et une thèse réalisée en région parisienne (sur la propagation d'ondes électromagnétiques dans les guides d'ondes) à l'ENSTA et co-encadrée par Anne-Sophie Bonnet (ENSTA) et Gabriel Caloz (IRMAR), il revient à Rennes avec un poste d'ATER à l'INSA Rennes puis d'Enseignant-Chercheur à l'Université de Rennes 1.

Si sa formation et sa carrière sont principalement rennaises, la diversité des sujets de recherche de Fabrice tient à son goût pour les mathématiques appliquées, c'est à dire l'utilisation d'outils mathématiques au service de problématiques issues d'autres sciences ou d'entreprises, et de rencontres qu'il a su cultiver.

Que l'on juge sur quelques uns de ses projets récents ou actuels.

  • Modélisation et simulation de micro-résonateurs optiques :
    • collaboration avec L'IETR (campus de Beaulieu), dans le but d'utiliser les micro-résonateurs comme détecteurs de propriétés physique et biologiques. La modélisation met en jeu les équations de Maxwell.
    • collaboration avec l'entreprise Thalès, l’Institut Fresnel à Marseille, la DGA et le LAAS à Toulouse, dans le cadre du projet ANR ROLLMOPS. L’objectif est de créer de nouveaux mini résonateurs fibrés optimisés en qualité et puissance. Cela demande d'étudier les équations de Lugiato-Lefever.
  • Modélisation de l’ovogenèse chez le poisson, en collaboration avec le Laboratoire de Physiologie et Génomique des Poissons de l’INRAE (campus de Beaulieu), dans le cadre du projet ANR DynaMO. Le problème requiert l'étude de modèles hybrides d’équations différentielles ordinaires.
  • Étude de la prolifération et de la différenciation des cellules souches adultes en cellules musculaires ou adipeuses chez le porc en croissance, en collaboration avec le laboratoire Pegase de l’INRAE (Saint-Gilles) et Agrocampus Ouest. Les modèles sous-jacents sont encore des équations différentielles ordinaires.
  • Optimisation économique et environnementale des élevages porcins avec le laboratoire Pegase de l’INRAE (Saint-Gilles) et Agrocampus Ouest.
  • Caractérisation de la matière organique par spectroscopie pour la spéciation de contaminants se combinant avec la matière organique naturelle, en collaboration avec le laboratoire Géosciences (campus de Beaulieu). Mathématiquement il s’agit de mettre au point des méthodes d’estimation de paramètres pour identifier les composants de la matière dissoute : un appareil de mesure utilisant cette méthode est à l’étude avec une entreprise.
  • Décomposition du spectre de granulométrie de la terre crue pour en analyser automatiquement la composition, en particulier avec des échantillons de bâtiments anciens, en collaboration avec le CReAAH.
  • Modélisation et simulation numérique de la croissance des biofilms dentaires pour prévenir les maladies liées à la plaque dentaire, en collaboration avec le laboratoire NUMECAN de l'Inserm et l'IGDR. Le modèle sous-jacent mêle à la fois des équations différentielles ordinaires, des équations aux dérivées partielles et des automates cellulaires.

La grande diversité de sujets et de thématiques dans ces projets de recherche s'explique en partie par le fait que de mêmes outils mathématiques se révèlent pertinents pour l'analyse de problèmes issues de différentes disciplines (géologie, biologie, agronomie, médecine, archéologie, etc.). Pour Fabrice, l'exercice est passionnant : analyser un problème et le formaliser de manière mathématique, afin de voir ce que cela peut apporter. Mais l'exercice est profitable dans les deux sens, car les problématiques issues d'autres disciplines sont sources d'inspiration pour la recherche mathématique théorique. La rencontre de personnes de cultures différentes nourrit chacune, car le fait de répondre aux besoins de chaque discipline pousse l'autre à modifier son regard sur le problème.

Construction d'un projet

Fabrice Mahé nous décrit la génèse de ses projets de recherche comme étant le fruit de rencontres, qu'elles soient fortuites (comme celle avec une collègue du LPGP travaillant sur le campus de Beaulieu, mais rencontrée lors d'un trajet en train) ou organisées. Les rencontres "arrangées" elles-même peuvent prendre plusieurs forme. Elles peuvent par exemple être issues de démarches d'entreprises ou de laboratoires extérieurs avec des besoins identifiés, mais aussi à travers la participation à des cours proposés par l'UFR de mathématiques, notamment dans le cadre de la formation continue d'ingénieurs. Mais l'Agence Lebesgue (décrite plus bas) et l'Agence pour les Mathématiques en Interaction avec l'Entreprise et la Société (AMIES) se donnent comme objectif de développer un mouvement inverse en direction du monde de l'entreprise, en informant le tissu industriel local sur les compétences du laboratoire de mathématiques et les possibilités d'échanges.

Le premier contact effectué, Fabrice insiste sur le caractère déterminant du co-encadrement de stages de recherche (typiquement au niveau Master). En plus d'une formation multi-disciplinaire bénéfique pour le ou la stagiaire, le stage de recherche permet de défricher un sujet sur une temporalité adaptée. Sur des projets déjà bien aboutis, le dispositif de thèse de doctorat CIFRE permet développer une problématique concrète de manière approfondie. Le financement d'un poste d'Ingénieur de Recherche en soutien du projet peut également être envisagé.

La poursuite de projets en lien avec d'autres sciences ou les entreprises demande toujours un temps et des efforts d'adaptation, pour avancer ensemble. Cela demande de s'assurer que chaque interlocuteur parle et comprend le même langage. Fabrice nous rapporte que sur son projet sur l'ovogénèse, il a pu participer à la mise en place des expérimentations, afin de répondre aux besoins des modèles mathématiques. Ce sont ces échanges répétés et approfondis qui font la richesse des projets en interaction.

 

L'agence Lebesgue

Fabrice Mahé a participé à la création de l'Agence Lebesgue, et en a été le co-directeur pour le compte de l'IRMAR jusqu'en janvier 2023 (succédé par Valérie Monbet). Il nous décrit le rôle de l'Agence Lebesgue comme une agence de rencontre entre les mathématiques, les entreprises et les autres sciences.

Pour cela, l'Agence Lebesgue se donne trois missions :

  • Collaborer. À travers la mise en relation avec les spécialistes du domaine, l'aide au choix du type de collaboration (contrat avec des chercheurs, réponse à un appel à projet, stage, thèse, post-doctorat, stage, groupe de travail), et un accompagnement continu, l'Agence Lebesgue est un structure facilitatrice tout au long de la collaboration.
  • Informer. L'agence Lebesgue fait connaître l'apport des mathématiques et les compétences disponibles dans les laboratoires, notamment à travers l'organisation de différents événements
  • Former. l’Agence Lebesgue propose des formations continues, et relaie les formations universitaires de ses établissements de tutelle, à l'intention des entreprises et de toutes les communautés scientifiques.

Des exemples de collaborations multidisciplinaires scientifiques et industrielles sont détaillées sur le site de l'Agence Lebesgue. De quoi confirmer, s'il était besoin, le potentiel applicatif des mathématiques !